LE CHATEAU DE CHARLES V
1 -  Le donjon
 
Le donjon et sa "chemise" protectrice.
Au milieu et en avant de celle-ci : le "châtelet".

   Le projet de bâtir un nouveau donjon, de très grandes dimensions, remonte au premier roi Valois, Philippe VI, qui en fait creuser les fondations. Son fils, Jean le Bon, poursuit la construction qui atteint alors le troisième étage. Le successeur de ce dernier, Charles V, achèvera l'édifice en 1369. 

   Ce donjon s'élève à 50 m au-dessus du niveau du sol et à 66 m au-dessus du fond du fossé. (Autant dire qu'il ne tiendrait pas sous sous notre moderne pont de Tancarville!!!). L'édifice, de forme carrée,  mesure extérieurement 16,25 m de côté. Et  l'épaisseur de ses murs...  dépasse les 3 m! Ce qui a très facilement permis d'y ménager (intérieurement au mur "sud")  un escalier hélicoïdal de 2 m de diamètre. Cet escalier se prolongeait, au-dessus de la terrasse du donjon, par une haute tourelle de guet, aujourd'hui disparue, qui permetttait de surveiller l'environnement du château jusqu'à Paris. 

   Chaque angle du donjon est renforcé par une tourelle circulaire de plus de 6 m de diamètre. Les installations sanitaires n'ont pas été négligées: à la tourelle N.O., est accolée une tour rectangulaire (non visible sur la photo) enfermant les "latrines" installées à chaque étage. 

   Notons, aux différents niveaux d'habitation, la présence de larges baies d'éclairage.  Ceci n'est nullement une particularité de Vincennes et infirme les légendes de nos vieux manuels "d'histoire de France", selon lesquelles les châteaux-forts ne recevaient la lumière du jour que par "d'étroites meurtrières"! Car ces meurtrières, encore nommées "archères", réservées aux tirs des arcs et des arbalètes, sont parfaitement visibles par ailleurs, sur notre photo. 

   Chaque étage est traversé en son centre par une imposante colonne cylindrique  destinée à supporter la charge des très vastes planchers des différents niveaux. Car c'est de cette colonne que partent des arcs d'ogive en pierre qui rayonnent vers le murs portants extérieurs . 

 Le rez-de chausssée 
héberge la cuisine qui dispose d'un puits profond de 17m. Et on y trouve aussi, selon les habitudes de l'époque, une gigantesque cheminée à manteau. 
 

Un fait divers assez extraordinaire !!! 
      
    En 1422, cette cuisine du donjon est témoin d'une scène pour le moins surprenante: après son décès , on y fait bouillir le corps  d'Henri V (pourtant roi d'Angleterre)...  tout comme un vulgaire  pot-au-feu!!!      
       Explication: ce souverain résidait alors à Vincennes en qualité de  gendre et successeur reconnu du malheureux roi fou Charles VI.    
         
       Cette dernière disposition résultait du traité de Troyes.  Or, à l'époque, la lenteur des transports et l'absence de procédés de  conservation empêchaient de rapatrier le corps complet du défunt dans son pays. Grâce à la cuisson on put au mois récupérer les os et les réexpédier Outre-Manche!      

       Pour rare qu'il soit, le fait n'est pas unique. Déjà la dépouille  mortelle de Bertrand du Guesclin avait subi le même sort et pour  les  mêmes raisons. Le roi Charles V avait  en effet décidé, du vivant de  son illustre connétable,  que celui-ci devrait recevoir les honneurs de la nécropole royale de Saint-Denis. Or du Guesclin meurt en 1380,  en faisant le siège de Châteauneuf-de-Randon, dans le Massif  Central.  

    Les religieux du voisinage, qui procèdent à l'opération,  n'oublient pas de faire parvenir à qui de droit  la note des frais de  cuisson!!!

 
Le premier étage abrite la Salle du Conseil Royal 

Photo ci-contre : remarquez la colonne centrale d'où partent les arcs d'ogive porteurs. 
Elle traverse les différents niveaux du donjon pour lesquels elle joue le même rôle. Ses contraintes sont donc considérables et justifient l'actuel chantier de consolidation. 
 

   C'est le niveau qui a conservé le plus grand nombre d'éléments d'origine. On y admire encore les magnifiques lambris de bois du plafond ainsi que de belles sculptures de pierre sur le chapiteau de la colonne centrale et sur les supports des arcs d'ogive incorporés aux murs porteurs. On découvre, vers le haut de ces mêmes murs, des crochets métalliques: ils étaient destinés à suspendre les grandes et magnifiques tapisseries murales que les souverains amenaient dans leurs bagages, parmi bien d'autres choses, lorsqu'ils se rendaient d'un de leurs châteaux à un autre!

Le second étage a le privilège 
de possèder la Chambre du Roi . 

    Ci-contre : la monumentale cheminée de cette salle  

   C'est la seule pièce où subsistent encore le peintures d'origine: des fleurs de lys d'or sur fond azur qui décorent les nervures de pierre des voûtes. Rappelons que le mot "chambre" désign à cette époque un lieu de vie polyvalent, à usage multifonctionnel (Voir plus haut: "Le manoir royal de Vincennes").  
  
   Diverses annexes périphériques complètaient lapièce principale dont une chapelle privée située dans l'une des tours d'angle. Dans sa chambre, le roi Charles V disposait de différents coffres, dans  lesquels il conservait ce qu'il a de plus précieux: ses joyaux, son linge de corps, de table et de literie, ses étoffes de soie... sans oublier son "trésor"... constitué uniquement de pièces d'or ou d'argent!  

   Et on y trouvait également une collection de magnifiques manuscrits enluminés... 
 

    De la "Librairie" de Charles V... 
    à notre Bibliothèque Nationale 
  Ci-contre: Charles V et ses manuscrits, 
détail d'une miniature d'époque 
  
  
   Ce roi a été surnommé "le Sage", c'est-à-dire le "Savant", en raison du grand intérêt qu'il portait aux manuscrits reçus par héritage et dont il avait augmenté le nombre par ses acquisitions personnelles L'inventaire de la Tour de la "Librairie" (C'est à dire de la Bibliothèque) recensait plus de 500 ouvrages ! 
 
 
A ce propos, Christine de Pisan écrit dans
Le Livre des Faits et Bonnes Moeurs du roi Charles V le Sage (1) 
 
       Comment ne pas évoquer à propos de la sagesse du roi Charles V le grand amour qu'il avait pour l'étude et le savoir? C'est ce que montre à l'évidence sa belle collection de grands livres et la magnifique bibliothèque où il avait réuni les volumes les plus remarquables qu'aient composés les meilleurs auteurs. Qu'il s'agisse des saintes Ecritures, de la théologie ou de tout autre science, tous étaient bien calligraphié et richement décorés. On y employait à tout moment les meilleurs copistes qu'on pût trouver. Point n'est besoin de demander si son étude était belle et bien organisée: on ne pouvait rêver mieux, lui qui aimait avant tout les choses belles, soignées, impeccables et bien tenues. Même s'il comprenait bien le latin et s'il n'avait jamais besoin qu'on lui explique les textes rédigés en cette langue, le grand souci qu'il eut de ses successeurs le poussa à penser à l'avenir et à transmettre aux âges futurs les enseignements et savoirs nécessaires à la pratique de la vertu. C'est ainsi qu'il fit appel aux maîtres les plus réputés et les plus compétents dans leur science ou discipline pour traduire du latin au français tous les plus importants. Parmi ceux-ci, citons la Bible et ses trois niveaux d'écriture - c'est-à-dire le texte seul, les gloses textuelles et les commentaires allégoriques -, le grand livre de Saint Augustin, La Cité de Dieu,le livre Du Ciel et du monde, (...) et bien d'autres encore, car les savants y travaillaient sans cesse et en recevaient d'excellents gages.  
                        
    (1)Femme de lettre française d'origine italienne. C'est le duc de Bourgogne, Philippe le Hardi, frère de Charles V, qui lui demanda d'écrire "Le Livre des Faits et Bonnes Moeurs du roi Charles V le Sage", après le décès de celui-ci. 
    Il s'agit d'un véritable panégyrique du défunt, destiné à servir de modèle à son petit-fils le dauphin, futur Charles VII (Rappelons que le père de ce dernier, Charles VI, avait sombré dans la folie) 
    Ci-dessous: Le château du Louvre construit sous Philippe-Auguste, tel qu'il se présentait après les remaniements de Charles V 
(détail d'une enluminure des Riches Heures du duc de Berry)

A la collection du Louvre il convient d'ajouter celle du château de Vincennes qui comptait 56 manuscrits vraisemblablement sélectionnés par le souverain. 

   Un inventaire d'époque décrit avec admiration le luxe de tous ces ouvrages : 
"... sont les courrois des fermouers couvertes chascunes de sept fleurs de lys d'or...". 

   Trois psautiers(recueils des psaumes dits "de David") particulièrement prestigieux et qui avaient antérieurement appartenus à Saint-Louis, nous sont parvenus: 

- le psautier d'Ingeburge, épouse de Philippe-Auguste (actuellement conservé au musée de Chantilly) 
- un manuscrit d'origine anglaise dans lequel Saint-Louis aurait appris à lire 
- le psautier, dit de Saint-Louis, parce qu'il était contemporain de ce roi et peut-être même confectionné spécialement à son intention 
  
La présence de ces trésors inestimables nous est connue par "l'inventaire des joyaulx, relicques et autres choses estans en l'estude du roy en la tour du bois de Vincennes emprès la chambre haute". 
  
  Après Charles V, sa collection le livres eut beaucoup à souffrir des aléas de la Guerre de Cent Ans. Mais au fil des siècles, la Bibliothèque Royale a continué à s'enrichir, notamment grâce à l'obligation du dépôt légal institué dès le règne de François 1er. A partir du 17ème siècle, elle s'installe rue Vivienne où elle demeurera jusqu'à nos jours. Seul son nom a changé: elle est devenue notre Bibliothèque Nationale.

Photo ci-contre: 
Le troisième étage 
 
   Il est réservée aux personnalités de très haut rang: selon selon les circonstances, il peut être affectée à la reine, au dauphin... 

   On y retrouve l'élégance et la légèreté de la colonne centrale observés dans la Salle du Conseil, au premier étage. 

   Et, comme les autres niveaux, il dispose d'une très vaste cheminée sous le manteau de laquelle les hôtes peuvent prendre place. 
 
 
 
 
 
 

Les trois niveaux supérieurs 

servent probalement à héberger d'autres proches du souverain mais aussi certains serviteurs ou encore les guetteurs du donjon. On peut aussi penser qu'on y stocke des vivres et des munitions (pour les arcs et les arbalètes) en prévision d'un éventuel siège. 

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